Nicolas Sarkozy, malfaiteur récidiviste condamné: quand Mouammar Khadafi s'essuyait les pieds sur les tapis de l'Elysée
- Christian Lehmann
- il y a 4 minutes
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Dans l'attente des autres affaires dans lesquelles il sera jugé, Nicolas Sarkozy est une nouvelle fois condamné, cette fois-ci pour "association de malfaiteurs", avec Claude Guéant et Brice Hortefeux, qui ont tenté de soudoyer un haut dignitaire lybien, beau-frère de Muammar Khadafi, et responsable d'un attentat sur un DC10 de la compagnie UTA en 1989, et du décès de 170 personnes dont 54 français. S'il a été relaxé du chef de "corruption", c'est pour une raison très précise: la corruption n’est possible que si le corrompu est dépositaire d’une autorité publique susceptible d’assurer la promesse d’une contrepartie à son corrupteur. Or, selon les magistrats ( pourtant considérés par une grande partie de la droite et des éditorialistes de plateau comme des rouges sanguinaires ), au moment du pacte, Sarkozy n'est pas encore président, et donc pas encore dépositaire de l'autorité publique qui lui permettrait de tenir son engagement dans le pacte. C'est tiré par les cheveux au vu de la suite des évènements, mais, selon les juges toujours, « Il apparaît que les agissements de Nicolas Sarkozy pouvaient caractériser le délit de corruption s’il exécutait, après son entrée en fonction, le pacte passé avant », écrivent les juges. « Or une action positive en ce sens de Nicolas Sarkozy une fois élu à la présidence de la République ne ressort pas clairement de la procédure ».

Pour ceux qui ne se souviennent pas de la manière dont Sarkozy, une fois président, a choyé Mouammar Khadafi, je poste donc ici ce chapitre extrait du livre "Sarkolangue", que j'ai publié en 2008. On y voit passer Sarkozy, Guéant, Hortefeux, Khadafi, Rama Yade, Marcel Dassault, et quelques chameaux, parce que des bestioles innocentes au milieu de ces carnassiers, ça repose...

10 Décembre 2007. « La France n’est pas un paillasson ». « Rama Yade se fâche » …C’est en couverture du Parisien, et bientôt repris sur toutes les antennes. La secrétaire d’Etat chargée des Affaires étrangères et des Droits de l’Homme sort ses griffes pour fustiger la venue du colonel Mouammar Khadafi à Paris, et sa réception dans les palais de la République. Si le Guide suprême de la révolution Lybienne est sur le sol français, c’est à l’invitation de Nicolas Sarkozy, suite à la rocambolesque « libération » des infirmières bulgares et du médecin palestinien, accusés d’avoir inoculé le Sida à des centaines d’enfants; détenus pendant huit années sur ordre du dictateur et torturés dans ses geôles, dans le but de masquer aux Lybiens eux-mêmes le délabrement du service de santé de leur pays.

Khadafi a pris ces femmes, cet homme, en otage, et avec eux l’opinion occidentale. Il a monnayé leur libération pour tenter de se réinstaller sur la scène internationale et faire oublier l’image de financier pariah du terrorisme qui lui colle aux basques depuis longtemps. Le deal a eu lieu en Juillet, après des mois de longues négociations avec l’Union Européenne, lors d’un abracadabrantesque voyage-éclair de Cecilia Sarkozy à Tripoli. La première dame de France avait quitté son mari, était revenue le temps d’une campagne présidentielle, mais apparemment le cœur n’y était pas, comme le révèleront divers incidents dont la révélation de l’absence de vote de Cecilia Sarkozy au second tour.
Selon ses dires, la femme du Président décide sur un coup de tête d’accompagner Claude Guéant à Tripoli : « J'ai fait les choses sans penser aux conséquences médiatiques. A un moment donné, j'ai parlé avec Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée, il m'a dit : « Je pars en Libye ». J'ai senti que je pouvais aider, que je pouvais apporter une contribution… J'ai senti que je pouvais le faire même si la situation était bloquée depuis très longtemps. Je lui ai dit : « Je vous accompagne ! » Il était assez étonné, il en a parlé au Président qui a dit : « Allons-y, on va tenter, emmenez-la ». Je suis partie avec lui. Dans l'avion, j'ai pris connaissance de ce dossier, j'ai essayé de comprendre et je m'en suis imbibée. En arrivant, je me suis aperçue qu'il y avait moyen de débloquer les choses. J'y ai mis toute mon énergie. »
Quel étrange scénario… Vous imaginez un peu la scène, dans une pièce pour bobos de Yasmina Reza ?
Palais de l’Elysée, intérieur nuit.
Un salon.
Une femme( Cecilia Sarkozy) est assise, elle feuillette Vogue d’un air absent.
La porte s’ouvre. Un homme d’un certain âge, à l’air austère, (Claude Guéant), sort du bureau du Président.
Claude : Ah, Madame, je suis désolé. Je crains que le Président soit encore retenu un moment…
Cécilia : Ce n’est pas grave. De toute façon, on a raté le début du film. Et puis, vous savez, les premières entre mon mari et Christian Clavier… j’ai un peu l’impression de découvrir la stéréo…
Claude : Je comprends. Désolé. Je ne peux pas m’attarder, un avion m’attend.
Cécilia : Un avion, Claude ? A cette heure ? Un rendez-vous galant ?Claude : Que nenni, Madame. Je pars à Tripoli. Au sujet des infirmières bulgares…
Cécilia : Vous vous moquez de moi, Claude. Tripoli n’est pas en Bulgarie. Enfin pas la dernière fois que j’ai regardé un atlas. Il est vrai qu’avec Nicolas, tout va tellement vite…
Claude : Les infirmières bulgares que Khadafi retient en otages… Vous voyez de quoi je veux parler ?
Cécilia : Non… mais je prendrais connaissance du dossier dans l’avion. J’ai toujours rêvé de visiter Tripoli à l’époque des soldes. Et on ne m'empêchera jamais d'essayer d'aider ou de soulager la misère du monde… »

Claude Guéant et Cecilia Sarkozy ne feront pas les soldes à Tripoli, mais ramèneront dans l’avion les infirmières bulgares et le médecin palestinien. A en croire la première dame de France « arrivée sur place en tant que femme, en tant que mère, sans forcément m'attarder sur la complexité des relations internationales, mais avec la ferme intention de sauver des vies », aucune contrepartie ( autre que la prise en charge médicale des enfants atteints) n’avait été exigée ou proposée à cette libération, quand bien même le colonel Khadafi avait-il obtenu une rançon équivalente à l’indemnisation qu’il avait dû débourser pour l’attentat du DC10 d’UTA et ses 170 morts et une invitation à séjourner dans la capitale des droits de l’Homme pour y signer de juteux contrats militaires, ainsi que l’acquisition d’une centrale nucléaire pour désaliniser l’eau de mer et écosser les haricots verts. Et c’est là, pour Rama Yade, tête de gondole de la diversité sarkozyste, que le bât blesse. Et elle ne se l’envoie pas dire, en ce 10 Décembre, jour de célébration des droits de l’Homme : « Le colonel Kadhafi doit comprendre que notre pays n’est pas un paillasson, sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s’essuyer les pieds du sang de ses forfaits. La France ne doit pas recevoir ce baiser de la mort. (...) Je serais encore plus gênée si la diplomatie française se contente de signer des contrats commerciaux, sans exiger de lui des garanties en matière de droits de l’homme. C’est un devoir : la France n’est pas qu’une balance commerciale ». La posture est noble, la prise de position tranchée. Et au bout du compte, nous le verrons, c’est ce qui restera, c’est ce sur quoi une grande partie de la presse focalisera, in fine, ses commentaires. Pourtant d’emblée, pour toute personne qui sait lire, et avant même la pitoyable reculade à laquelle cette autre fausse rebelle sera acculée, quelque chose cloche dans le discours de Rama Yade. Interrogée sur les récentes chaleureuses félicitations téléphoniques adressées à Vladimir Poutine par Nicolas Sarkozy pour la victoire de son parti aux législatives, elle affirme : « Il est normal que la France parle à tout le monde. Elle a même le devoir de parler d’abord aux pays qui ne respectent pas les droits de l’homme afin qu’ils changent. D’autre part une politique étrangère ne peut pas se fonder uniquement sur les valeurs. La France est une puissance, elle n’a pas à s’excuser de signer des contrats. C’est la secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères qui vous le dit. Mais la secrétaire des Droits de l’homme est obligée de vous dire que cela doit se faire dans la décence ». Décortiquons ce galimatias d’approximations et d’autojustifications schizophrènes. S’ « il est normal que la France parle à tout le monde », et « d’abord aux pays qui ne respectent pas les droits de l’homme », Rama Yade ne peut ignorer dans quelles circonstances a été révélée l’affaire des félicitations de Sarkozy au Président Russe, qu’il utilisait en tant que repoussoir pendant sa campagne en disant préférer renouer l’axe transatlantique avec Bush plutôt que « serrer la main de Poutine ». Mais qu’importent les fraudes électorales et la violence du pouvoir envers les opposants ? Une fois la victoire du parti gouvernemental déclarée, Sarkozy a pris son téléphone pour féliciter chaleureusement un criminel de guerre au sujet duquel, depuis son élection, il use de propos beaucoup plus mesurés : « un homme ouvert au dialogue, acceptant la discussion…un homme très au fait de ses dossiers, très calme, très intelligent… » ( propos réutilisables après n’importe quelle rencontre du président Sarkozy, fût-ce avec Hannibal Lecter).
Mais ce coup de téléphone de félicitations, étrangement, n’a pas fait l’objet de communication du côté français. Si les services de communication du Président Russe ont largement ébruité cette conversation téléphonique, c’est que Nicolas Sarkozy est le seul chef d'Etat à s’être comporté de manière aussi complaisante envers l’homme fort du Kremlin, quand les informations télévisées du monde entier révèlent dans quelle atmosphère d’intimidation et de fraude se sont déroulées les élections. Sur le site de l’Elysée, les moindres faits et gestes de l’Hyper-Président sont habituellement rapportés fidèlement heure par heure par les scribes du Palais, comme par exemple ici, le 22 Novembre 2007, à 19h04 précises :
« Entretien téléponique( sic) du Président de la République avec Madame Jobard, veuve de Monsieur Bernard Jobard
Le Président de la République s’est entretenu cet après-midi par téléphone avec Madame Jobard, veuve de Monsieur Bernard Jobard, décédé le 17 août dernier à la suite de la collision de son navire de pêche, le Sokalique, avec un cargo battant pavillon de l’Etat de Kiribati, l’Ocean Jasper. Rappelons que la France et Kiribati ont décidé de coopérer pour que les responsables du naufrage du Sokalique, coupables d’un délit de fuite, soient traduits devant la justice. Le Président de la République a annoncé à Madame Jobard qu’il venait d’obtenir l’accord du Président de Kiribati pour que le procès se tienne en France. »
Etrangement, l’entretien téléponique avec Vladimir Poutine n’a pas bénéficié de la même mise en lumière médiatique. Quel dommage… Qu’aurait-on pu lire ?
« Entretien téléponique du Président de la République avec Monsieur Poutine
Le Président de la République s’est entretenu cet après-midi par téléphone avec Monsieur Poutine, Maître du Kremlin, Grand Ordonnateur de la Désolation de Tchetchénie et Chevalier de l’Ordre du Polonium, à la suite de la victoire de son Parti majoritaire en voix, en médias et en miliciens aux dernières élections législatives. Le Président de la République et Monsieur Poutine ont ensuite échangé des private-jokes intraduisibles, les noms d’Anna Politkovskaïa et d’André Glucksmann, en particulier, déclenchant des crises d’hilarité incontrôlable jusqu’à pas d’heure. »
Revenons à Rama Yade, et à sa posture de colère légitime : « La France est une puissance, elle n’a pas à s’excuser de signer des contrats. C’est la secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères qui vous le dit. Mais la secrétaire des Droits de l’homme est obligée de vous dire que cela doit se faire dans la décence ». Et encore : « Je ne partage pas l’indignation automatique de ceux qui refusent tout dialogue avec la Lybie. Mais je ne peux pas dire non plus que je suis heureuse de cette visite. Parce qu’elle coincide avec la Journée mondiale des droits de l’homme. Le choix de cette date est un symbole fort, je dirais même scandaleusement fort. Il y a tellement de jours dans une année, pourquoi avoir choisi justement celui-ci ? » Toute la supercherie est là, dans ces quelques phrases. Car la décence selon Rama Yade, cela tient à peu de choses :
Décence: nom féminin, du latin "decentia", "decens", de "decere", convenir. XIIIe siècle,
Bienséance en ce qui concerne les lieux, les temps et les personnes
Il n’est pas de la décence de faire telle chose.
Rappeler quelqu’un à la décence.
Ce malhonnête homme a l’esprit de garder au moins une certaine décence, Une certaine honnêteté extérieure.
(En particulier) Bienséance en ce qui concerne les bonnes moeurs
Avoir un maintien plein de décence.
Mettre de la décence dans ses expressions.
Cette femme est toujours vêtue avec beaucoup de décence.
(En sarkolangue) Aptitude à signer des contrats militaires juteux 364 jours par an, en évitant le 10 décembre pour permettre à la Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et aux droits de l’homme de poser elle aussi en Dior dans Paris-Match.

Le cruel dilemme de Rama Yade tient en UNE phrase : « Personnellement, je me retrouve avec une journée des droits de l’homme sur les bras et Khadafi sur le tarmac d’Orly. Donc, pour moi c’est un problème. Mais c’est comme ça, voilà, ça doit être un oubli »
Tout est dit en quelques mots : la présence de Khadafi à Paris est ressentie par Rama Yade comme un affront personnel, et sans le nommer c’est le Président qu’elle rend responsable de ce télescopage d’agenda, elle qui déjà quelques jours auparavant a été évincée de la délégation française en Chine à la demande de Rachida Dati, tant ce microcosme élyséen s’embourbe sous Sarkozy dans des intrigues dignes d’une telenovela mexicaine.
Khadafi, sur le tarmac d’Orly ce 10 décembre, va attirer toute la presse, toutes les caméras, tous les micros. Pire encore, les causeries et autres conférences de presse dégoulinantes de bons sentiments, d’ingérence humanitaire et de petits moulinets des bras envers les méchants de ce monde, paraîtront d’autant plus ridicules que tandis que la Secrétaire d’Etat prend la pose, le Président serre la main du tortionnaire et signe avec lui de juteux contrats. Le même Président, rappelons-le, qui a maintes fois répété pendant sa campagne de candidat qu’avec lui, on allait voir ce qu’on allait voir, la realpolitik ferait place à une réflexion éthique. Le même Président qui, décomplexé, déclarait devant le Parlement Européen à Strasbourg le 13 Novembre 2007, soit moins d’un mois plus tôt : « J’ajoute que tous ceux qui ont fait l’expérience de renoncer à la défense des droits de l’homme au bénéfice de contrats n’ont pas eu de contrats et ont perdu sur le terrain des valeurs ». Un terrain, on le sait, cher à l’histrion de l’Elysée lorsqu’il paraît à une tribune, faisant sien tous les combats, promettant de libérer tous les otages où qu’ils soient, et, dans un époustouflant délire, accordant la nationalité française à tous ceux qui souffrent dans le monde lors d’une allocution pour les Français de Sofia en honneur aux infirmières bulgares libérées, le 4 Octobre 2007 : « Ces femmes et cet homme… ils ont vécu l’enfer pendant huit ans et demi…et voyez-vous l’idée que je me fais de notre pays la France, c’est que chaque fois que quelqu’un est injustement opprimé, ce quelqu’un-là devient Français immédiatement ( applaudissements polis)… non pas par les papiers, non pas par l’administratif, mais il devient Français parce que sa souffrance devient une souffrance qui doit être portée par la France… c’est ça la mission de notre pays, porter des valeurs universelles de respect des droits de l’homme ». Sylvie Vartan était du voyage, mais Brice Hortefeux, l’ami de trente ans, occupé à remplir ses quotas d’expulsés, n’avait pu être présent, évitant ainsi de s’étouffer de rire en direct à la télévision.
Si l’emprise de la sarkolangue sur le pays n’était pas si forte, cette phrase : « « Je me retrouve avec une journée des droits de l’homme sur les bras et Khadafi sur le tarmac d’Orly » vaudrait à Rama Yade les lazzi, tant s’y révèle, nue, la soif de pouvoir et de visibilité qui l’animent, bien avant l’humanisme que devrait nécessiter sa fonction.
On en avait déjà eu un aperçu quelque temps auparavant, au moment où les militaires birmans réprimaient dans le sang le désir de liberté d’un peuple à qui tout avait été volé jusque son nom ( la Birmanie ayant été rebaptisée le Myanmar par décision de la junte). Devant les caméras, Rama Yade avait révélé éprouver « une espèce de passion pour Aung San Suu Kyi », opposante birmane maintenue au secret par la junte. Laquelle Aung San Suu Kyi, à plusieurs reprises, avait fait part de l’importance stratégique et financière pour les militaires du soutien de la firme française Total, « qui est devenue le plus fort soutien du système militaire birman ». A plusieurs reprises, l’égérie de l’opposition démocratique en Birmanie avait incité les pays occidentaux à se mettre en accord avec leurs principes, et à cesser leurs investissements qui ne profitaient nullement à la population ( contrairement à la version complaisamment étalée par la firme et ses défenseurs stipendiés) mais permettaient à la junte d’asseoir son pouvoir répressif. « Usez de votre liberté pour promouvoir la nôtre », plaidait celle pour qui Rama Yade se passionnait, au point de signer dans le Figaro le 12 Septembre 2007 une tribune : « Mettons tout en œuvre pour faire libérer Aung San Suu Kyi », dans laquelle la Secrétaire d’Etat rappelait : « Les démocraties ont déjà toutes appelé à la libération des prisonniers politiques. Mais les mots ne suffiront pas. » Des mots, pourtant, furent tout ce que récoltèrent les birmans. Avec un cynisme remarquable, Rama Yade, interrogée sur les relations commerciales entre la France et la junte, botte en touche en rappelant que « la France à elle seule n'aura pas d'impact décisif parce que ses relations avec la Birmanie sont très relatives…Imaginez que Total sorte de Birmanie, qu'est ce que ça change ?......Les Américains ont Chevron qui est sur place et qui n'est pas touché par les sanctions, donc il faut savoir ce que l'on veut. ». Ce que l’on veut ? Des contrats, une bonne place au gouvernement, un alibi humaniste, et, tant qu’à faire, une vibrante tribune dans les pages Rebonds de temps à autre, ça fait bien sur un CV. En sarkolangue, « Usez de votre liberté pour promouvoir la nôtre » se traduit « Usez de notre asservissement pour promouvoir votre carrière ».

Ce matin du 10 décembre, Rama Yade est convoquée à l’Elysée, se fait passer un savon. A partir de ce moment, elle va rétropédaler péniblement, assurant par exemple : « Je dis et je redis que le colonel Kadhafi d’aujourd’hui n’est pas le même que celui d’avant ( note de bas de page : Apparemment, il a changé, lui aussi… c’est une épidémie…) …Je n’ai absolument aucune hostilité vis-à-vis d’une visite du colonel Khadafi, à partir du moment où il a renoncé à tout programme militaire nucléaire… Dans ces conditions il vaut mieux parler avec lui plutôt que de le marginaliser ou de le rejeter aux confins du terrorisme», tout en tâchant de ne pas perdre le bénéfice médiatique de sa posture rebelle. D’où, toute la journée, des feux d’artifice de sarkolangue, des bribes de phrases laissant percer son amertume mais sa grande bravitude, le tout bâtissant un panneau dans lequel vont s’empresser de tomber nombre de journalistes, fascinés par ce supplément d’âme touchant au pays des contrats. Bernard Kouchner, habitué à garder pour lui cette posture acrobatique de celui qui sait les souffrances de l’humanité mais doit bien composer avec la realpolitik ( grandeur d’âme de ces êtres d’exception, suffisamment avertis pour savoir ce qui se passe dans les sanglantes arrière-cours des puissants, mais pas naïfs au point de démissionner : pensez, les choses, sans leur muette, douloureuse et vigilante abnégation, seraient encore pire !), Kouchner, donc, se voit rafler la vedette par sa Secrétaire d’Etat : « De temps en temps un Ministre des Affaires étrangères envie une Secrétaire d’Etat qui peut parler ainsi des Droits de l’homme… », concède-t-il face à Nicolas Demorand sur France-Inter, pour s’offusquer ensuite lorsque le journaliste se demande si Rama Yade ne parle pas aujourd’hui la langue que Bernard Kouchner aurait parlé il y a quelques années : « Votre psychanalyse, Docteur, me fait plaisir, mais vous n’interrogez pas Rama Yade, j’ai répondu sur elle, vous m’interrogez moi qui aie d’autres responsabilités… » Savoureuse fin de phrase d’un Ministre court-circuité lors de la libération des infirmières lybiennes et tout juste bon, quelques jours plus tard, à légitimer la vente d’armes au dictateur du désert pour promouvoir les droits de l’homme : « S’il n’y avait pas de possibilité… de rédemption, alors comment ferait-on de la politique ? Il faut de l’espoir… c’est la démocratie qui est une attraction… » Et vendre des armes à un zélateur du terrorisme est le meilleur moyen d’y parvenir, même si, faux-cul jusqu’au bout, Kouchner confie à la journaliste qui l’interroge : « Malheureusement, et, vous savez, votre opinion m’importe, c’est également la mienne, je préférerai un monde sans arme, mais pour le moment c’est un monde rêvé… » Souffrance morale des grandes âmes, toujours, et clin d’œil de connivence entre vrais humanistes : « votre opinion m’importe, c’est également la mienne... » mais au final je m’assoie dessus… Toujours cette manière de vouloir le beurre et l’argent du beurre, se recycler en féal de la realpolitik mais envoyer depuis l’estrade des signes muets au fan-club pour montrer qu’on n’est pas totalement dupe et que le rebelle au sac de riz est toujours là, même si le poids des ans et des compromissions a alourdi ses traits.
Comme le « dégueulasse » de Fadela Amara, le « paillasson sanglant » de Rama Yade va donner lieu à moults remous et communiqués.

Serge Dassault, sénateur UMP, est courroucé par les vélléités de Rama Yade : « Qu’elle s’occupe de ses affaires : Sarkozy dirige la France, il fait vendre des produits à l’étranger et c’est très bien, c’est un bon président, donc tout va bien, il ne faut pas s’y opposer » ( Je ne m’attarde pas sur chacune de ces perles, sinon pour regretter que Jean-Marie Gourio, l’inventeur des « Brèves de Comptoir », ne fréquente pas le même rade que le propriétaire du Figaro : j’ai quant à moi connu des poivrots moins ouvertement pathétiques, desquels je n’aurais pas approché la flamme nue d’un briquet ) « Il faut savoir si l’on veut développer l’emploi en France ou si on veut faire la morale à tout le monde. Si on fait la morale à tout le monde, on ne vend rien… Qu’elle s’occupe des petits pays où il y a des problèmes, mais pas des problèmes industriels ! ». Evidemment, plutôt que d’embêter Khadafi, que Rama Yade aille emmerder de petits pays au budget insuffisant pour acheter des Rafale ! Sacré Dassault, va : « Sans la liberté de cirer, il n’est pas de compte créditeur »
Pourtant, l’avionneur qui chasse à la tourelle depuis son 4*4 n’a aucun souci à se faire : le gouvernement se démène pour faire signer des contrats, toujours plus de contrats, et les communiqués de presse élyséens entassent les milliards comme s’il en pleuvait, au nom de l’intérêt bien compris de la France.
Nicolas Sarkozy tentera d’apaiser les polémiques en affirmant : « J’ai dit au président Khadafi combien il fallait continuer à progresser sur le chemin des droits de l’homme, dans tous ses aspects, tout ce qu’il restait à faire ». A quoi Khadafi, interrogé à ce sujet, répondait : « Nous n’avons pas évoqué, moi et le président Sarkozy, ces sujets. » L’un des deux, à l’évidence, mentait, et pour la majorité des médias, ce ne pouvait être l’Hyper-président, puisqu’il avait été élu démocratiquement sur la promesse étrangement réitérée de ne pas mentir. Le menteur était donc Khadafi. Nicolas Sarkozy, Hervé Morin, Bernard Kouchner, tout ce beau monde prêchant la rédemption du dictateur, étaient ainsi en train de refourguer benoîtement des avions de chasse et la technologie nucléaire à un menteur qui prétendait vouloir simplement dessaler l’eau de mer dans son arrière-cour.
Khadafi en rajoutait même, la politique d’immigration de Brice Hortefeux lui ouvrant d’ailleurs un boulevard : « Les Européens font de la surenchère sur les droits de l’Homme et nous interrogent sur les respect des droits de l’Homme dans nos pays. Les étrangers sont maltraités en Europe, et eux nous demandent de respecter les droits de l’Homme ! ».
Ajoutant à la cacophonie, Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée affirmait avoir été témoin de l’échange entre Sarkozy et Khadafi sur la question des droits de l’homme, puis fermait le ban : « Madame Yade a exprimé une sensibilité, pas la voix de la France ».

Le mot de la fin reviendrait à Nicolas Sarkozy, en sarkolangue dans le texte : « Vous savez la confiance et l’amitié que j’ai pour Rama Yade qui, il se trouve, était à mes côtés à Tripoli lorsque la France a indiqué au président Khadafi qu’elle le recevrait en France après la libération des infirmières » ( oui, en sarkolangue, Nicolas Sarkozy se prend pour la France et parle à la troisième personne comme Alain Delon). Manière élégante de mouiller la jeune Secrétaire d’Etat en amenant la presse à ressortir les photos d’une poignée de mains entre Rama Yade et Mouammar Khadafi, et de signifier qu’elle était partie prenante dans toute cette affaire et ne pouvait s’exonérer en laissant à d’autres le « paillasson sanglant ». Ces protestations de confiance et d’amitié du Président, pour le coup, ressemblaient à s’y méprendre à un « baiser de la mort ». La jeune Secrétaire d’Etat, qui avait comme Fadela Amara souvent déclaré : « Si un jour je ne suis vraiment pas d’accord, je m’en irai », fit acte de soumission en tentant de se cacher derrière une métaphore guerrière : « On ne déserte pas en rase campagne, surtout quand on est engagée au côté d’un homme qui vous a promue à 30 ans secrétaire d’Etat d’un gouvernement et que vous avez soutenu pendant des mois si ce n’est des années ». On ne déserte pas en rase campagne ? Quelle curieuse affirmation ! D’abord, qui parle de déserter ? La France n’est pas en guerre avec la Lybie. Il ne s’agirait pas de déserter mais, chose effectivement peu commune en sarkozye, de mettre ses paroles en adéquation avec ses actes, en démissionnant. Et quand bien même il s’agirait de déserter, quel meilleur endroit pour déserter que la « rase campagne » ? Que Rama Yade, éventuellement, estime indécent de « déserter » en pleine bataille, dans le feu de l’action, pourrait éventuellement avoir un sens. Mais annoncer fièrement, quand on se couche, qu’on refuse de « déserter en rase campagne », franchement… qui peut croire ça ? Et bien, à vue de nez, une bonne part des média français, dont Le Point, qui à la fin de cette triste pantalonnade afficha en une : « Rama Yade, la femme qui dit non ». Sacré Franz-Olivier Giesbert… Comme dit le proverbe, on n’est jamais si bien servile que par soi-même.

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