Introduction:
La publication récente de "La santé en bande organisée" ( Anne Jouan et le Pr. Christian Riché, ed. Robert Laffont) entraîne un flot de réactions disparates. A ce stade, peu l'ont lu, mais chacun a son opinion sur ce qu'il contient. Ainsi cette enquête minutieuse sans compromission est-elle saluée dans le camp des complotistes antivax covidosceptiques qui croient y voir une validation de leurs thèses débiles, alors qu'au contraire les auteurs enfoncent le clou: les agences sanitaires sont gravement coupables d'avoir laissé Didier Raoult en roue libre alors qu'il contrevenait à toutes les règles de prescription, publiait des études illégales, tronquées ou falsifiées, et mettait gravement en danger la sécurité sanitaire et les patients. Je cite le livre: "Enfin, concernant le Covid et le cas Didier Raoult, "l'Agence n'a pas traité le professeur marseillais comme elle l'aurait fait avec un autre. Elle a traîné des pieds, déplore un directeur. En réalité, toutes les inspections pouvaient être faites beaucoup plus tôt? Pourquoi avoir tant attendu?" Cette source le rappelle: le gendarme du médicament peut suspendre des recherches en cours, voire arrêter et interdire toute nouvelle recherche jusqu'à la mise en conformité du laboratoire, en l'occurence... l'IHU. " C'est parfaitement dans ses compétences, c'est même son pouvoir, déclare-t-elle. Il s'agit d'une décision de police sanitaire. Toutes les données concernant Raoult étaient disponibles plus tôt, en février 2020, mais l'ANSM a attendu.... "Ce personnage tenait des propos très préoccupants ( il disait se moquer de la réglementation, il méconnaissait les bonnes pratiques). Mais l'ANSM n'a pas osé le contredire, elle était paralysée... Plusieurs salariés l'assurent, le contexte politique local a joué. Un autre élément a considérablement influé sur l'attentisme de l'ANSM face à Raoult: sa grande proximité avec un ancien directeur de l'Agence, un autre Marseillais, le Pr Dominique Maraninchi..." Je ne vais pas reprendre l'intégralité du chapitre du livre consacré à ce fiasco lamentable, lié à l'absence d'indépendance des agences vis-à-vis d'un pouvoir politique qui avait "adoubé" le Druide des Calanques, et le protégea pendant un long moment... Mais parce que les complotistes croient voir dans ce livre un appui à leurs délires dépolitisés, je voudrais rappeler ici que des médecins, des soignants, des journalistes, des patients, ont lutté pendant des années contre les dérives des firmes avant que les complotistes découvrent soudain dans la bouche de leurs gourous les mots "Big Pharma... Bill Gates... Great Reset... QAnon" et se mettent à les répéter en extase en croyant avoir compris quelque chose à la complexité du monde. L'un des éléments les plus pathétiquement risibles de cette triste dérive a été pour moi de voir l'un des fidèles alliés de Didier Raoult, l'inénarrable Philippe Douste-Blazy, porté aux nues comme un valeureux combattant contre l'influence des firmes, et présenté comme tel dans le magazine "Front Populaire" de Michel Onfray, quand PDB, que Didier Raoult rêvait de placer à la tête de l'Organisation Mondiale de la Santé, s'est illustré pendant des années en tant qu'affidé stipendié des laboratoires Servier, et a défendu mordicus en 2004 le Vioxx, un médicament dont je retrace ici l'histoire dramatique. Le Vioxx apparaît dans le livre de Jouan et Riché et on y voit Emmanuelle Wargon, ancienne ministre du Logement d'Emmanuel Macron, alors numéro 2 de l'agence sanitaire, y défendre l'utilisation "raisonnée" de ce médicament après son arrêt de commercialisation. Les complotistes entament avec entrain l'air du "Tous pourris", car Emmanuelle Wargon est l'épouse d'une de leurs têtes de turc, l'urgentiste Matthias Wargon. Je reposte donc ici ce long extrait du livre "Les fossoyeurs", publié en 2007, qui permettra à chacun de se faire une opinion sourcée sur ce que l'on savait ou pas de ce médicament, en 2004 quand Douste-Blazy prenait sa défense vibrante, en octobre 2005 quand Emmanuelle Wargon appuyait lors d'une rencontre sociale au Sénat la représentante du laboratoire MSD qui mentait copieusement sur les circonstances du retrait du Vioxx.
Philippe Douste-Blazy, ex-ministre de la Santé, "personnalité qualifiée" au sein de l'organigramme de l'IHU, inventeur en 2020 de l'essai clinique par pétition, acteur de "Hold-Up" à l'insu de son plein gré.
LES FOSSOYEURS, 2007, Christian Lehmann, ed. Privé.
"Un exemple frappant, celui du retrait précipité du Vioxx ( rofecoxib) en septembre 2004, a contribué à ébranler profondément ce type de certitude. Ce médicament destiné à soulager les douleurs de l’arthrose visait un large marché : une partie importante de la population des pays riches est touchée par l’arthrose, les douleurs rhumatismales. Or le Vioxx fait l’objet, avant même sa commercialisation, d’une promotion intense, y compris dans les médias grand public : ce médicament prétendument révolutionnaire bénéficierait d’un atout majeur par rapport aux anti-inflammatoires classiques : une excellent tolérance digestive. Pour tous les patients souffrant d’aigreurs d’estomac liées à la prise fréquente d’anti-inflammatoires, c’est, apparemment, une bonne nouvelle, et l’attente générée dans le public par cette information… désintéressée… est forte.
Une chronologie simple permet de retracer cette affaire :
Mai 1999 : autorisation de mise sur le marché aux USA du Vioxx
Novembre 1999 : autorisation de mise sur le marché en France du Vioxx
Le prix demandé aux patients est élevé : 10 francs français par comprimé quand la dose quotidienne d’un anti-inflammatoire classique comme l’ibuprofène revient à 2 francs. Dans un premier temps, le médicament n’obtiendra pas le remboursement par la Sécurité Sociale, car le tarif demandé semble trop élevé par rapport à l’avancée thérapeutique vantée.
Le laboratoire fait bénéficier les pharmacies hospitalières d’un prix extrêmement bas, 1 centime le comprimé, soit 1000 fois moins cher que le prix en ville. Ce véritable dumping a pour but d’amorcer la prescription hospitalière, sachant que, selon le Professeur Hazebroucq, directeur de la pharmacie centrale de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris : « Les firmes savent bien qu’un médicament prescrit par un grand professeur d’université a peu de chance d’être changé par un médecin généraliste… »
Dès cette époque, le résumé des caractéristiques du médicament publié aux USA fait état d’une tendance à l’hypertension artérielle plus élevée sous Vioxx.
Mai 2000 : l’étude VIGOR, présentée à un congrès britannique, compare le Vioxx à un anti-inflammatoire classique, le naproxène. Elle laisse apparaître une augmentation des accidents cardiaques sous Vioxx
Août 2000 : la Revue Prescrire titre « Rofécoxib, un antalgique AINS décevant : Vioxx comprimés » et fait part d’un doute sur une augmentation des risques cardiaques dans une étude en cours, en notant que « ces données sont difficiles à interpréter en l’absence de compte-rendu détaillé ». La Revue, véritable « bible » des médecins soucieux d’accéder à une information indépendante, considère que le Vioxx « n’apporte rien de nouveau », et ceci alors que la promotion du médicament auprès des médecins bat son plein.
Novembre 2000 :dans un second article consacré à une étude après un an de commercialisaion en Grande-Bretagne, la Revue Prescrire répètera que « le bilan laisse persister un doute quand à un risque cardiaque particulier »
Février 2001 : une analyse détaillée de l’étude VIGOR par l’administration américaine du médicament n’est pas en faveur du Vioxx : s’il semble exister une diminution des effets indésirables digestifs graves, celle-ci est annulée par un excès d’accidents cardiovasculaires graves, et ce dès le premier mois de prise du médicament. De plus, les experts de la FDA découvrent que l’incidence des accidents vasculaires a été minorée par les médecins et chercheurs ayant signé l’étude.
Juin 2001 : le Vioxx est admis au remboursement en France
Août 2001 : le Dr Topol, cardiologue américain, publie dans le Journal of the American Medical Association, une revue de l’étude VIGOR passée au crible avec son équipe : les taux d’infarctus sont significativement plus élevés sous Vioxx qu’avec un placebo ( « médicament » chimiquement neutre utilisé comme témoin).
Le laboratoire Merck a rencontré le Dr Topol et tenté d’obtenir, sans succès, le retrait de son article, avant publication.
Le service marketing du laboratoire Merck remet en cause les conclusions de l’étude VIGOR : ce ne serait pas le Vioxx qui causerait plus d’accidents vasculaires… mais le naproxène auquel il était comparé, qui serait protecteur vasculaire ( le naproxène n’a jamais été utilisé dans cette indication)
Les congrès, les journaux médicaux, sont envahis de communiqués de presse assurant de la sécurité cardiovasculaire du Vioxx , thèse appuyée par les nombreuses prises de position de grands professeurs de médecine que Gilles Bardelay, de la Revue Prescrire, qualifie dans le Monde de « dealers d’opinion »…
En France, l’Agence de Sécurité Sanitaire… critique les « faiblesses méthodologiques » du travail du Dr Topol, et reprend à son compte les explications du marketing de Merck : s’il y a excès d’infarctus sous Vioxx, « cette différence serait liée à l’action antiaggrégante plaquettaire ( fluidité sanguine) du naproxène que ne possède pas le rofecoxib »
Mars 2002 : Au salon du Medec, grand-messe de la formation et de la communication médicale sponsorisée par les firmes pharmaceutiques, le Vioxx est plébiscité par les 6282 médecins participants amenés à désigner les « meilleurs médicaments de l’année »
Septembre 2002 : En présence du Professeur Michel Boisron, Président du Comite Médical du Medec 2002, du professeur Bernard Glorion, Président du Conseil National de l’Ordre des médecins, du Dr Claude Maffioli, président de la CSMF et Président du Comité Médical du Medec 2003, de divers représentants du ministère de la Recherche, de l’Assemblée Nationale, de députés et sénateurs illustres…le Vioxx reçoit le « Prix du Médicament de l’Année », dans la catégorie « recherches internationales », pour « sa remarquable tolérance gastro-intestinale qui a été plébiscitée plus encore que son efficacité anti-inflammatoire. » selon le Quotidien du Médecin.
2002 : l’Assurance-Maladie rembourse environ 116 millions d’euros pour le Vioxx
2003 : l’Assurance-Maladie rembourse environ 125 millions d’euros pour le Vioxx
Avril 2004 : l’Agence européenne du Médicament annonce que le Vioxx n’a pas montré « d’avantage gastro-intestinal significatif » et que sur le plan cardiaque, les médicaments de sa classe « pourraient présenter un léger désavantage de sécurité par rapport » aux anti-inflammatoires plus classiques. L’autorisation de mise sur le marché n’est pas révisée. Le prix du médicament reste identique.
Septembre 2004 : à la suite d’une nouvelle étude, la firme MSD annonce le retrait du Vioxx suite à la mise en évidence d’effets indésirables cardiaques sévères. Une estimation américaine fait alors état d’environ 30.000 infarctus et morts subites d’origine cardiaque imputables au Vioxx, sans compter les accidents vasculaires cérébraux.
Aucune agence française ne publie d’estimation de l’incidence des dégâts cardiovasculaires du Vioxx en France, selon le principe bien connu du nuage radioactif de Tchernobyl, qui veut que les catastrophes sanitaires ne passent pas nos frontières, grâce au zèle et à la vigilance de nos élites.
3 Janvier 2005 : Nos élites. Parlons-en.
Philippe Douste-Blazy, spécialiste en cardiologie, professeur de santé publique, ministre de la Santé, venu faire la promotion de la réforme qui porte son nom sur RTL, est interrogé par Gérard Courtois, au sujet du Vioxx. Plus de trois mois après le retrait brutal de ce médicament.
« Philippe Douste-Blazy : …un médicament c'est très sérieux, çà a des effets positifs et négatifs. Ça donne une autorisation de mise sur le marché et on fait ces médicaments là, on les donne aux personnes pour des indications données. Alors là attention parce qu'aujourd'hui, nous n'avons absolument pas, nous, estimé qu'il y avait plus d'effets négatifs que d'effets positifs et donc nous, et d'autres pays dans le monde, y compris d'ailleurs la FDA, la Food and Drug Administration, très dure aux États-unis, n'ont pas estimé qu'il y avait plus de problèmes négatifs que de problèmes positifs, donc ils ont continué. En réalité qu'est ce qui s'est passé ? Un article dans l'Herald Tribune ou le New York Times, je ne me souviens plus, sort, donc on rend public, disons qu'il pourrait y avoir quelques problèmes pour cet anti-inflammatoire, l'opinion publique se rend compte de cela, vous les journalistes, et c'est normal, vous en parlez. A partir de là le président directeur général de la grande société pharmaceutique décide que pour des raisons de marketing, il vaut mieux le retirer du marché tout de suite plutôt que de continuer ce produit parce que dans un journal à grand tirage, on dit qu'il peut y avoir des effets secondaires. Mais oui il peut y avoir des effets secondaires ! Résultat, il l'enlève, dés l'instant où il l'enlève, çà finit par une émission comme celle-là par quelqu'un de très sérieux comme vous qui dit, mais on enlève ce médicament parce qu'il est dangereux. Mais en fait…
Gérard Courtois : C'est ce que les patients ou les malades peuvent imaginer !
Philippe Douste-Blazy : Oui c'est ce que tout le monde croit ! Ou peuvent imaginer. En réalité je crois que le président directeur général a eu peur de faire face à un article grand public où on parle d'effets secondaires bien classiques et bien connus en médecine, et a peur à ce moment là pour son action et pour la bourse.
Richard Arzt : Quelle sera la solution ?
Philippe Douste-Blazy :Je dis qu'il faut faire attention, que la bourse, le rendement à court terme c'est très gentil mais çà a des limites, c'est la raison pour laquelle je plaide pour un capitalisme social et libéral. Je pense que c'est très important comme philosophie de penser. Le capitalisme, l'ultralibéralisme n'est pas un bon système. Là je crains, enfin s'il doit y avoir des problèmes pour Vioxx, faisons le, je suis le premier à vouloir les enlever les médicaments qui sont dangereux donc je veux dire moi je suis ni de près ni de loin proche des industries pharmaceutiques. Je dis simplement que là, dans le cas particulier aucun expert au monde n'a trouvé qu'il y avait un effet négatif. Or il se trouve que le PDG l'enlève, si le PDG l'enlève c'est qu'il a peur pour son action à court terme, donc pour ses actionnaires à court terme. Ça, si c'est çà, c'est lamentable.
Gérard Courtois : Autrement dit à vos yeux, les contrôles sont assez stricts tels qu'ils existent et les experts sont suffisamment indépendants ou totalement indépendants des laboratoires pharmaceutiques ?
Richard Arzt : C'est les journaux qui de temps en temps compliquent la chose !
Philippe Douste-Blazy :Non, non, pas du tout ! Non, çà c'est un second sujet, donc le premier sujet dont je parle, c'est en effet le grand public est mis au courant par des journaux d'effets secondaires et nous on sait qu'il y a des effets secondaires, nous les médecins…
Gérard Courtois : Il arrive qu'en dehors des grands journaux il y ait également des publications scientifiques qui…
Philippe Douste-Blazy : Alors çà c'est autre chose, lorsque Nature sort en disant qu'il y a un effet secondaire terrible, le médicament est mort tout de suite et heureusement il est enlevé du marché. Les agences du médicament aussi, françaises, européennes, américaines peuvent l'enlever… »
Echange surprenant. A plus d’un titre. L’explication donnée par le ministre de la Santé, spécialiste en cardiologie, professeur de santé publique, au sujet du Vioxx, l’un des scandales médicamenteux les plus retentissants de ces dernières années, est la suivante :
-Il n’y a pas de problème particulier avec le Vioxx, et il n’y a eu aucune publication scientifique sur d’éventuels effets négatifs du Vioxx.
-La décision de retrait est disproportionnée, et liée à un réflexe de panique face à un risque de chute de l’action boursière de la firme qui fabrique le médicament.
Notons la remise en cause par le ministre de l’ultralibéralisme et du capitalisme financier sauvage ! Hormis cet éclair de lucidité, cette interview ouvre un vaste questionnement sur le fonctionnement de notre système français de pharmacovigilance…
Que nous révèle l’affaire du Vioxx de la sécurité sanitaire en France ?
Que nous révèle cette affaire de la manière dont sont formés et informés les médecins ? de la manière dont sont formés et informés leurs représentants les plus illustres ?
Comment expliquer que dès le mois d’Août 2000, des généralistes, des spécialistes, des pharmaciens, des étudiants en médecine, lecteurs d’une revue indépendante en langue française, soient déjà alertés de l’existence d’un possible risque cardiovasculaire du Vioxx … mais que dix-huit mois plus tard, 6000 de leurs confrères, professionnels de santé comme eux, élisent ce médicament « Médicament de l’Année ». Comment expliquer que plus de quatre ans cette première mise en garde en langue française, et alors que des dizaines d’articles sont parus à ce sujet dans la presse internationale, le ministre de la Santé puisse aligner à l’antenne d’une grande radio d’ahurissantes contre-vérités ?
Je n’ai pas la réponse à ces questions.
Franchement, elles me dépassent.
Elles donnent au petit médecin généraliste référent à 20 euros que j’étais alors, au misérable petit médecin traitant à 21 euros que je suis aujourd’hui, qui ne reçoit pas les représentants commerciaux des firmes et n’a jamais prescrit de rofecoxib malgré la pression insistante de certains services hospitaliers ou de certains patients, de fortes migraines. (*)
Note de bas de page : Et j’imagine, au vu des sommes qu’a dépensé la Sécurité Sociale à la suite de la mise sur le marché d’un médicament aux effets indésirables graves sur la foi d’études savamment retravaillées… que ces questions donneraient aussi de fortes migraines à ces assurés sociaux qu’on cherche à tout prix à responsabiliser, dont on diminue la couverture maladie, qu’on accuse de frauder avec l’argent de l’assurance-maladie solidaire. « Selon que vous serez puissant ou misérable… » écrivait La Fontaine, qui devait déjà avoir compris comment fonctionnent nos élites politiques, implacables avec les faibles, indulgentes envers les puissants…
Pression marketing : l’exception française
Qui croire ?
Le Président de la CSMF, Michel Chassang, qui affirme que « Les médecins savent quand même distinguer l’information médicale de la pression « marketing »…
Ou le SMG, ce petit syndicat « issu des poubelles de l’histoire », qui note dans un communiqué publié le 23 décembre 2004, quelques jours avant l’étonnante prestation de Philippe Douste-Blazy sur le sujet du Vioxx à RTL, que le ministre vient de signer l’arrêt de mort du FOPIM :
« LA LIQUIDATION DU FOPIM : UN ENTERREMENT DE PREMIERE CLASSE POUR LA SANTE PUBLIQUE EN FRANCE
Alors que l’industrie pharmaceutique dépense en budget marketing 20 000 euros par an et par médecin,
Alors que cette même industrie pharmaceutique aveuglée par une course effrénée aux profits est éclaboussée par une succession de scandales qui ont fait des milliers de victimes parmi les patients (Staltor®, Vioxx® et autres Celebrex® ),
Ce jour dans la plus grande discrétion, est mis fin par les autorités publiques au Fonds de Promotion de l’Information Médicale et médico-économique (FOPIM) qui avait pour but de développer une information médicale concernant les médicaments, indépendante des firmes pharmaceutiques, par la constitution d’une base de données informatique mise gratuitement à disposition des médecins et par l’octroi de subventions aux très rares publications médicales qui fonctionnent sans la manne publicitaire desdits laboratoires pharmaceutiques.
Trop, c’était trop, quand une structure dérange le très puissant lobby du médicament, avec la complicité du gouvernement, on la supprime. »
« Avec la complicité du gouvernement » !!! Oh, on voit tout de suite les gens aigris !
En fait, la réforme a amené Philippe Douste-Blazy et Xavier Bertrand à transférer les compétences du FOPIM à la Haute Autorité de Santé… tout en intégrant les visiteurs médicaux dans le dispositif !
En clair, il s’agit de demander à la Haute Autorité de Santé d’établir des référentiels de bonne pratique médicale… et de charger les représentants commerciaux des firmes pharmaceutiques de délivrer cette bonne parole aux médecins !
De cette façon, la réforme Douste-Blazy légitime la visite médicale à la française, en lui appliquant une « charte de la visite médicale éthique » purement déclarative, et en lui permettant de regagner du terrain dans un corps médical de plus en plus réticent à recevoir ses représentants.
S’agit-il de sombres manœuvres de Big Pharma, de lobbying inavouable ? Même pas. Dans l’esprit du ministre, dans l’esprit des députés qui ont voté cette loi, c’est une manière de transférer un post de dépenses publiques ( l’acheminement des informations validées par les autorités de santé) vers le privé ( les firmes pharmaceutiques). Cette confusion très libérale entre l’intérêt public et l’intérêt privé, on la retrouve à tous les étages de la réforme, comme à l’hôpital où on met en place des modes de gestion des entrées sur le mode du privé, comme dans les agences de sécurité sanitaire dont les experts exercent à titre bénévole… en étant rémunérés par les firmes pharmaceutiques ! (*)
Note de bas de page :
Ces erreurs ne sont pas neuves. Ainsi, dans les années 60, les législateurs et les réformateurs thérapeutiques qui ont mis en place la méthodologie des protocoles d’essais cliniques des médicaments pour éviter des catastrophes comme celle de la thalidomide ( un sédatif prescrit aux femmes enceintes dans les années cinquante, causant des naissances monstrueuses), ont ensuite laissé les seuls industriels du médicament aux manettes de ces études, et ce pour des raisons comptables. Cela évitait de mettre en place un système de contrôle et de recherche publique performant… mais coûteux. Cela a eu pour conséquence, entre autre, de stériliser la recherche, les firmes se contentant de tester des molécules très proches de celles qui existaient déjà, et inondent le marché de copies au lieu de lancer des pistes réellement innovantes.
Pour être convaincu d’avoir fait là un choix judicieux, il faut et il suffit que les députés, aveuglés par le dogme libéral, soient persuadés d’avoir ainsi servi à la fois la santé publique et les comptes de l’Etat. Comment se fait-il, pourtant, que pas un d’entre eux n’ait suffisamment de culture économique pour questionner le bien-fondé de cette démarche ?
Peut-être aurait-il fallu leur conseiller la lecture du Point, hebdomadaire de la droite décomplexée, qui quand Jacques Marseille passe son tour, peut être amené à des réflexions très pertinentes sur le système de santé français. Ainsi en Mars 2004, sous le titre « La pression des laboratoires », la rédaction du Point se penchait sur les… spécificités du système français, notant que, « selon le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie, le volume des prescriptions médicamenteuses représente, en France, un problème massif et ancien… la France est au premier rang mondial en volume de prescription de médicaments par habitant. Or, et c'est le Haut Conseil qui l'écrit, « plusieurs indicateurs permettent de s'interroger sur le bien-fondé d'un tel niveau de prescriptions pharmaceutiques » … Si les raisons de cette consommation excessive ne sont pas simples… il en est une qui pèse d'un poids particulier : l'influence massive de l'industrie pharmaceutique sur le corps médical. Un chiffre la résume à lui seul. En France, les laboratoires dépensent 20 000 euros par an et par praticien pour la promotion du médicament. Cette influence débute dès la faculté : pendant les stages de l'étudiant à l'hôpital, une firme va par exemple financer le pot offert par les externes, les apprentis médecins les plus jeunes, au reste du service. Quand le praticien s'installe, le coup de pouce est un peu plus conséquent : on peut lui donner le dictionnaire Vidal des médicaments, un outil professionnel fort utile pour mémoriser les caractéristiques des milliers de produits composant la pharmacopée. Le hic, c'est que cet ouvrage est légalement un support publicitaire : les firmes paient l'insertion dans le dictionnaire des « mentions légales » des produits qu'elles veulent, tout en se gardant la possibilité de retirer certaines indications ou la mention de certains dosages qu'elles ne souhaitent pas promouvoir. »
Suit un rappel des sommes conséquentes que peuvent recevoir certains experts hospitaliers :
« Pour une ou deux réunions par mois au siège du groupe, tel expert percevait dans ma firme 400 000 francs par an en moyenne il y a cinq ans », raconte un ex-cadre supérieur de ce secteur aujourd'hui à la retraite. Les médecins ont un autre argument : « Ce n'est pas parce que nous avons de bonnes relations avec des représentants de l'industrie pharmaceutique que nous prescrivons davantage leurs produits. » Nous aimerions les croire, mais sur ce point les visiteurs médicaux nous font vite déchanter. Les laboratoires en emploient 24 000 en France. « Mon employeur s'est concentré sur la promotion d'une dizaine de produits. Dans chaque zone géographique, nous sommes maintenant plusieurs visiteurs médicaux à présenter les mêmes médicaments aux médecins que nous avons sélectionnés, les plus gros prescripteurs », raconte l'un de ces professionnels en activité. Il faut savoir que 15 % des médecins assurent la moitié des prescriptions médicamenteuses. « Le plus important dans notre métier, c'est de très bien cibler les médecins les plus "rentables", et ensuite de ne pas les lâcher », précise un autre visiteur... Au final, les résultats sont là : « Au lieu d'enregistrer des hausses de volumes de prescriptions de quelques pour-cent par an, nous réussissons à atteindre des pourcentages de 30 à 40 % pour les produits que le laboratoire a décidé de promouvoir », certifie ce professionnel expérimenté. »
Peut-être faudrait-il abonner les députés de l’Assemblée Nationale au Point, avant qu’ils ne votent une prochaine réforme de l’assurance-maladie ?
Car il n’est nul besoin d’être un grand économiste pour comprendre la perversité du système mis en place. D’un côté, les pouvoirs publics, le ministère de la Santé, font pression sur les firmes pharmaceutiques françaises, comme le dénonce à juste titre Jean-François Dehecq, en bouclant leurs fins d’années difficiles ( et elles le sont toutes) par des taxes sur le bénéfice des firmes, décidées selon des critères extrêmement flous. Dans le même temps, CNAM et ministère mettent en place des mécanismes de maîtrise amenant à faire pression sur les médecins, et en particulier sur les généralistes, nous l’avons vu, en leur promettant une revalorisation en échange de baisse de certaines prescriptions.
Tout se passe en fait comme si les deux partenaires, gouvernement et firmes, sans jamais l’avouer ouvertement, prenaient acte de leur impuissance respective à moraliser leurs relations. Comme si gouvernement et parlement savaient pertinemment que les firmes sont en panne d’innovation et utilisent tous les artifices de la communication pour générer des volumes de prescription sans commune mesure avec les besoins sanitaires réels des Français, ce qui justifierait de les punir par cet empilement de taxes exceptionnelles sur les bénéfices. Comme si les firmes savaient que les pouvoirs publics ne se sont donnés aucun réel moyen de contrôle sanitaire du médicament au sein des firmes, en ville ou à l’hôpital, et que pour pallier au faible coût relatif négocié pour certains médicaments anciens, il serait licite d’utiliser toutes les ficelles pour faire prescrire largement dès leur mise sur le marché de pseudo-innovations, et d’utiliser tous les moyens pour maintenir une grande partie du corps médical sous tutelle, dont la nouvelle légitimité octroyée sous le sceau de la Haute Autorité de Santé par ces mêmes pouvoirs publics à une visite médicale en partie discréditée et boudée par un nombre croissant de professionnels de santé.
Pris au cœur de ces contradictions, le médecin généraliste devient un simple pion que chacun tente de manipuler avec un même mépris pour son honnêteté intellectuelle et sa compétence. Combien de temps cela durera-t’il encore ? Et combien de temps les tutelles sanitaires feront-elles la preuve qu’elles sont moins bien informées sur le médicament que le plus humble des soutiers de la médecine ?
Quand aux patients, comment leur assurer l’accès à une information indépendante, impartiale ? La loi Kouchner du 4 Mars 2002, dite loi sur les droits des malades, s’y est employée.
« Art. L. 4113-13. - Les membres des professions médicales qui ont des liens avec des entreprises et établissements produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits sont tenus de les faire connaître au public lorsqu'ils s'expriment lors d'une manifestation publique ou dans la presse écrite ou audiovisuelle sur de tels produits. Les conditions d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat. Les manquements aux règles mentionnées à l'alinéa ci-dessus sont punis de sanctions prononcées par l'ordre professionnel compétent. »
Cet article prévoit d’exiger de tout expert ou professionnel de santé s’exprimant publiquement dans les médias qu’il annonce l’existence éventuelle d’intérêts financiers ou de rémunération par une firme pharmaceutique. Cela éviterait les habituelles interventions de professionnels vantant sans retenue dans les médias telle nouvelle technique révolutionnaire, telle innovation pharmaceutique… comme ce fut le cas pour le Vioxx, en France et à l’étranger, pendant des années, alors qu’ils sont rémunérés par la firme commercialisant le produit. Cela rendrait moins délicate la tâche des donneurs d’alerte, ce « lobby anti-industrie pharmaceutique » fantasmé par la CSMF, alors qu’il est en constitué en majorité de professionnels indépendants et isolés qui ne bénéficient pas des mêmes moyens logistiques que Big Pharma, et de loin… Mais, par un malencontreux hasard, les décrets d’application de cette loi, cinq ans plus tard, ne sont toujours pas publiés. Les professionnels de santé affichant la transparence qu’est en droit d’attendre le public sont donc rares, et d’autant plus méritants : outre les experts médicaux, qui publient leurs éventuels conflits d’intérêt sur les sites des agences de sécurité sanitaire et du médicament, seule l’UMESPE-CSMF, branche spécialiste de la CSMF, remercie ouvertement sur son site les laboratoires Astrazeneca, Aventis et Pfizer, de leur soutien.
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