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Chapitre 5

Douste-Blazy sonde le trou

La France n’est pas réformable. C’est l’antienne que nous serinent à longueur de colonnes et de débats télévisés les commentateurs avisés et autres chroniqueurs multicartes. La France n’est pas réformable parce que les Français restent attachés à un système passéiste de privilèges indûs, de conventions sociales inadaptées au monde moderne et à son économie libérale saine, idéale, où la concurrence entre les individus sonnerait enfin la fin de l’Histoire sociale. 

Partant, toute réforme ferait l’objet d’une réaction de défense inadaptée, du simple fait qu’il s’agisse d’une réforme, et non parce qu’aux Français, sous couvert de fausses réformes, on impose en fait souvent de vraies régressions. Au printemps 2004, le gouvernement Raffarin s’apprêtait, après une longue phase de préparation et de consultation des différents partenaires sociaux, à présenter son plan de réforme de la Sécurité Sociale. En fait de concertation, il s’est agi pour l’essentiel, comme souvent, de faire semblant d’entendre les propositions des uns et des autres, de donner à chaque organisation, syndicale, patronale ou mutualiste, l’impression d’être prise en compte, alors que pour l’essentiel les grandes lignes de la réforme sont décidées en amont par le pouvoir politique. Mais, « paritarisme » oblige, il est nécessaire de donner le change, et le Ministère s’y emploie. L’essentiel, du moins dans un premier temps, est de faire passer la pilule aux Français, afin d’éviter un remake des cortèges de protestation du printemps 2003 contre la réforme des retraites. De les convaincre, par le biais d’une intense campagne de communication, que le système de santé français est à la dérive, et que seule une réforme en profondeur pourra en assurer la pérennité. Pour avoir l’air objectif, le gouvernement a chargé un comité d’experts, le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie de remettre un état des lieux en Janvier 2004. Celui-ci est suffisamment flou pour laisser le champ libre aux cabinets gouvernementaux, il y est réaffirmé que le système présente un déficit intenable à long terme, et que « sans remettre en cause l’universalité de la couverture, nous devons êtres capables de faire des choix. ». De ces choix bien évidemment « rationnels » et supposés indépendants des divers groupes de pression et lobbies, devront découler trois niveaux de prise en charge : une couverture maladie pour les soins indispensables ( ? ), une assurance complémentaire payée par les assurés, et enfin un troisième étage de soins de luxe et de confort que draineraient les assurances privées. Tout ceci reste d’un flou admirable, car personne ne se risque à définir ce que serait le « panier de soins indispensable » et ce qui relève du superflu.

Chacun, des syndicats de salariés au Medef, des syndicats médicaux à la Mutualité, a fourbi ses arguments, avancé ses pions discrètement, dans un jeu d’alliances opaques dont les cabinets ministériels français ont le secret. Car la santé, loin d’être simplement l’affaire des patients ou des médecins, représente surtout un poste budgétaire conséquent, qui attise bien des convoitises, et dont la « gouvernance » aiguise bien des appétits. En ce mois de Mai 2004, quelques semaines après ce colloque où j’avais été confronté pour la première fois à la logique du libéralisme, Philippe Douste-Blazy, ministre de la Santé, présentait sur France 2 dans l’émission « 100 minutes pour convaincre », sous l’intitulé « Il faut sauver la Sécurité Sociale », les grandes lignes de la réforme. Il avait été nommé pour cela. Non pas pour sauver la Sécurité Sociale, mais pour convaincre, pour communiquer, chose à laquelle il excellait et excelle encore, si l’on garde en mémoire la différence fondamentale entre la communication et l’information, à savoir : La communication, c’est ce dont les puissants cherchent à persuader le peuple, l’information, ce sont les faits qu’ils préfèreraient le voir ignorer. En tant que communicant, Philippe Douste-Blazy, loin d’être l’erreur de casting que certains dénonçaient, était tout simplement parfait. Pour un gouvernement qui voulait surtout éviter un remake du désastre politique qu’avait incarné à son corps défendant Jean-François Mattei en polo noir sur sa pelouse durant la canicule 2003, « Douste Bla-Bla », ainsi que vont vite le surnommer les médecins, était le gendre idéal, le ministre de choix. Membre, comme son prédécesseur, de la caste médicale, il avait sur ce dernier l’avantage de savoir mieux que quiconque faire prendre à ses interlocuteurs des vessies pour des lanternes, lui qui entretient avec la vérité, à la différence de nombre de politiciens besogneux, un rapport véritablement créatif et novateur.  Qu’importent les chiffres, qu’importent les réalités, pourvu qu’on ait l’ivresse…. de passer à la télé… Jugeons sur pièces :

« Avec 23.000 euros de déficit par minute » avait déclaré le Ministre au 20 heures de TF1 le 3 Mai 2004, « on n’y arrivera pas… nous sommes en faillite. Si on ne fait rien, le système de sécurité sociale n’existe plus. »

Deux semaines plus tard, le 17 Mai, devant Olivier Mazerolle qui l’interrogeait, les chiffres avaient changé : « Et d’ailleurs, quand on dit 23.000 euros par minute de déficit, pourquoi pas 40.000, pourquoi pas 50.000, bref, les chiffres n’ont même plus d’intérêt. Personne n’y croit. » 

Manière habile de ne pas risquer de se voir questionné sur ce chiffre choisi expressément pour choquer, pour dramatiser et culpabiliser l’opinion. Preuve aussi de l’incroyable légèreté du ministre. Car le trou « abyssal » de la Sécurité Sociale correspondait en fait, pour 2003 ( et sans même une réflexion sur l’assise des cotisations), à un déficit de 2.3% du budget global annuel de la Sécurité Sociale, cinq fois moindre que le déficit du budget de l’Etat.


Ici, une précision d’importance. Comme moi, comme nombre de Français, vous avez mille fois entendu que le déficit de la Sécurité Sociale est intenable, insupportable, qu’il est le fruit du comportement irresponsable des patients et des médecins. Que nous allons vers le gouffre en klaxonnant.

Voici les chiffres de l’année 2004, avec un comparatif entre le déficit du budget de la Sécurité Sociale ( ce que l’on appelle le régime général) et le déficit du budget de l’Etat :

En 2004 : 

Budget régime général: 274,2 milliards

Déficit : 12,5 milliards  soit 4,58 % ou 16,7 jours de fonctionnement

Budget de l’Etat : 283,6 milliards 

Déficit : 43,9 milliards soit 15,47 % ou 56,5 jours de fonctionnement

Exonérations de charges aux entreprises : 17 milliards ( dont, selon les sources, 5 à 9 milliards restent dûs par l’Etat et ne sont pas reversés à la Sécurité Sociale)

Ceci signifie que sur l’année 2004, la Sécurité Sociale est entrée en déficit le 15 Décembre. A partir de cette date, les soins ont été financés sur la dette. Encore faut-il prendre en compte le fait que l’Etat ne reverse pas au régime général l’intégralité des exonérations aux entreprises. Selon les sources, cela amènerait la Sécurité Sociale à financer les soins sans déficit… jusqu’autour du 25 Décembre. Pas mal pour un système archaïque, dispendieux, à bout de souffle, nécessitant de profondes réformes en urgence…

L’Etat, lui, est entré en déficit cette année-là le 4 Novembre. A partir de cette date, soit pendant près de deux mois, la France a vécu à crédit. Vous entendez une mouche voler dans l’hémicycle ? Moi aussi.


Tout au long de la soirée, Douste-Blazy va développer quelques thèmes, toujours les mêmes : le système est à bout de souffle, la Sécurité Sociale solidaire est en péril, la réforme programmée est « la dernière chance, le dernier carat, j’y crois en tout cas. » Cette dramatisation d’un « trou de la Sécu » qui reste mystérieux pour nombre de Français, s’accompagne de manœuvres répétées pour appeler les Français à la responsabilisation. D’abord, une petite louche de culpabilisation, avec cette « fausse » Carte Vitale  brandie comme à la tribune de l’ONU le général Colin Powell avait brandi une fiole d’anthrax : « il y a 10 millions de cartes Vitale en surnombre ! » Et la proposition de demander à l’entrée à l’hôpital la carte d’identité en même temps que la Carte Vitale, avant de mettre en circulation dès 2006 une Carte Vitale avec photo.

Dès le lendemain, les gros titres rivaliseraient sur la présence de 10 millions de fausses cartes Vitale en France quand en réalité il s’agissait d’une comptabilisation des doublons envoyés au fil des ans aux mêmes bénéficiaires. 

Les arrêts-maladie « de complaisance » vont ensuite être la cible du Ministre, accréditant l’idée d’une fraude généralisée génératrice de déficits importants. De plus, ces habitués de l’arrêt de travail seraient repérés depuis longtemps : « Les usagers, vous et moi, on les voit tous, on les connaît ceux qui font des arrêts maladies sans arrêt… » Qu’importent les chiffres de la Sécurité Sociale, les études mettant à jour un pourcentage très faible ( 6%) d’arrêts litigieux lors des contrôles ( 400.000 contrôles par an). L’important est d’accréditer l’idée que la fraude existe, et de faire naître chez l’assuré moyen la certitude que les fraudeurs n’ont qu’à bien se tenir. Car le fraudeur, bien entendu, c’est toujours « l’autre ».

Le thème de la fraude, et celui des actes inutiles, est repris plusieurs fois, pour mettre en cause la gestion du système. Et le ministre d’annoncer la couleur : chaque Français devra choisir un médecin traitant, qui tiendra son dossier médical informatisé, et pourra, le cas échéant, l’adresser à une consultation spécialisée, au tarif de la Sécurité Sociale. L’assuré gardera la possibilité de consulter directement, de son propre chef, le spécialiste de son choix, « mais je permettrais, à ce moment-là, aux spécialistes d’augmenter leurs honoraires ». Cerise sur le gâteau, le ministre confirma l’annonce faite précédemment, au débotté, par le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin : chaque consultation ferait l’objet d’une ponction, d’une franchise de un euro sur les remboursements. Face à Odile Plichon, journaliste au Parisien et spécialiste du dossier, qui l’asticote sur le champ d’application de cette mesure, le Ministre, fidèle à lui-même, répond sans répondre.

Odile Plichon : «  Est-ce qu’un acte médical, c’est juste une consultation chez le médecin ou les gens vont devoir payer aussi quand on leur fera une radio du poignet ou autres ? …est-ce que ce n’est pas un système…où, en gros, plus on est malade, plus on va payer ? »

Philippe Douste-Blazy : «… nous avons besoin de responsabiliser tout le monde, on va y revenir tout au long de la soirée, mais si on veut responsabiliser tout le monde, il faut responsabiliser aussi celui qui va chez le médecin. Alors franchement, un euro quand le Premier ministre l’a dit, et je reprends… »

Odile Plichon : « … Pour une radio du poignet, pour un accouchement dans une clinique privée, tout ça ce sont des actes médicaux, est-ce que les Français paieront aussi dans ces cas-là ? »

Philippe Douste-Blazy : « Je vous réponds que c’est… je vous réponds de manière très claire, Madame PLICHON, c’est un euro par consultation médicale, et d’ailleurs un malade ira donc chez le médecin, il ne va pas donner un euro, c’est au moment du remboursement. »

Au bout du compte, lorsque la réforme rentrera en action l’année suivante, le patient se verra ponctionner un euro pour toute consultation médicale, toute analyse biologique ( prise de sang, examen d’urines), tout examen complémentaire ( radiographie, scanner, fibroscopie, frottis) au titre de la « responsabilisation », à concurrence de 50 euros par an. Mais cela, le ministre s’est bien gardé de l’annoncer, laissant entendre que seules sont concernées les consultations médicales. Or cette ponction n’est pas neutre, même si face à ses divers interlocuteurs de la soirée, dont Ségolène Royal et Jean-Claude Mailly, de Force Ouvrière, le Ministre va se charger de la minimiser : 

Philippe Douste-Blazy : « A titre personnel, je crois que vous ne ferez croire à personne qu’aujourd’hui dans ce pays, un euro pour une consultation médicale pose un énorme problème, on est peut-être… sur de l’idéologie, ce qui est quand même encore autre chose. Mais un geste d’un euro par consultation, écoutez, franchement je pense que ça ne pose pas un grand problème. »

On est peut-être sur de l’idéologie. La phrase est savoureuse, attardons-nous y un moment. Car à plusieurs reprises ce soir-là, et sans jamais nommer personne, Philippe Douste-Blazy va  brandir la menace d’une franchise généralisée sur les remboursements : 

« Je vais déjà vous dire, les débats qu’il y avait, certains, on pouvait dire… des gens qui nous envoient des mails et qui disent, “ Ce n’est pas compliqué, faisons une franchise de 100, ou 200, ou 300 euros par personne et comme ça, les 100, ou 200, ou 300 premiers euros, vous les payez, après ça sera l’Assurance maladie ”. Ça…je le refuse, nous le refusons parce que c’est comptable, c’est injuste parce qu’on ne peut pas faire payer de la même manière celui qui a un gros salaire, que celui qui est au SMIC. »

Notons ici, déjà, que ponctionner d’un euro chaque acte médical, c’est justement « faire payer de la même manière celui qui a un gros salaire, que celui qui est au SMIC », mais quel intérêt y aurait-il à être ministre de la Santé si en plus il fallait rester cohérent d’une phrase à l’autre, d’une minute à l’autre. Un peu de fantaisie, diantre !

Notons aussi qu’à aucun moment PDB ne nomme ces adeptes d’une franchise de 100 à 300 euros sur les remboursements. Tout juste apprend-on qu’il s’agit de « gens qui nous envoient des mails ». Moi aussi, tous les jours, je reçois des mails de types étranges qui désirent m’impliquer dans un transfert de fonds depuis Kinshasa ou me proposent d’élargir mon pénis pour moins de 6 dollars. Mais étrangement, les anonymes spammeurs réduits à communiquer par mail avec le Ministère ne semblent pourtant pas dénués d’entregent. Car à en croire PDB, si les comportements des assurés ne changeaient pas grâce à sa réforme : « Eh bien je vais vous dire il y aura un système de franchise et c’est évident que ça partira et de toute façon le système changera, ce ne sera plus le système de l’assurance maladie que l’on connaît, je vous l’ai dit il y aura brutalement, qu’est-ce qui se passe quand il y a une franchise de 200 euros ? Eh bien vous avez tout de suite des gens pour vous dire, moi je vous les paie, les assureurs, c’est un système que je ne veux pas, en tout cas je ne resterais pas dans ce système politique si vraiment on perd le système de la protection sociale. »

En français dans le texte, cette tirade semble signifier que l’affaire est entendue. Loin de représenter simplement une lubie de spammeur anonyme, la « franchise » est dans les tuyaux, elle est là, elle menace. C’est LA réforme PDB, ou le chaos. « There is no other alternative », comme disait Margaret Thatcher, égérie des libéraux, qui n’adorent rien tant qu’imposer au peuple la nature irrémédiable de leurs décisions.

Mais d’où vient donc la certitude du ministre, pour qui l’équation complexe de la protection sociale des Français ne se résume plus qu’à deux solutions apparemment antagonistes : 

-le parcours coordonné agrémenté de sanctions et de dépassements d’honoraires 

OU 

-la franchise massive sur les remboursements ? 

D’où tire t’il cette conviction de représenter le dernier rempart d’une assurance-maladie solidaire ? : « je le fais parce que le Président et le Premier ministre me font confiance, mais si je me suis trompé, et que je peux me tromper, si vraiment les gens ne me suivent pas, si les médecins ne me suivent pas, alors là je sais que derrière il y aura une franchise. »

Quelque part dans les allées du pouvoir, semble nous dire PDB, on réfléchit déjà à une sortie franche du système d’assurance solidaire. C’est moi ou le chaos.Ce chaos, PDB ne le dit pas clairement, a un nom. Celui du Ministre des Finances de l’époque, Nicolas Sarkozy, avec qui, nous le verrons, la guerre froide du camp chiraquien a déjà commencé, sur le front de la santé comme ailleurs. Nicolas Sarkozy, que PDB a rencontré quelques heures à peine avant l’émission, lors de la dernière grande réunion ministérielle à Matignon sur ce dossier, et qui a mis au défit le ministre de la Santé d’annoncer des mesures contraignantes, quand, en général, et de l’aveu même de Xavier Bertrand, alors Secrétaire d’Etat à l’Assurance Maladie : « Philippe est là pour dire des choses agréables, je suis là pour aller dans le détail et dire des choses désagréables… ».

Sur le plan politique, la prestation télévisée de Philippe Douste-Blazy est un succès. Les annonces faites sont suffisamment ambigües pour ne pas provoquer de levée de bouclier, pour ne pas jeter dans la rue des milliers de manifestants. La culpabilisation, l’appel au sens civique, les chiffres bombardés « 23.000 euros de déficit par minute », ont semble t’il eu raison de la combativité des Français sur ce dossier qui pourtant leur tient à cœur. Qu’importe la contradiction portée par Jean-Claude Mailly, de FO, tentant d’apporter un peu de complexité dans le débat en rappelant, quitte à lancer des chiffres, que « chaque minute, les entreprises bénéficient en France de 36.000 euros d’exonération de cotisations patronales », dont une partie n’est pas compensée par l’Etat, ou la proposition faite par Ségolène Royal, de rembourser en trois ans l’intégralité du déficit accumulé en attribuant directement à l’Assurance-Maladie« la totalité des taxes sur l’alcool et le tabac » soit 10 milliards d’euros. 

Le souvenir des défaites cuisantes des précédentes mobilisations sur le dossier des retraites ou la réforme de l’école sont probablement pour beaucoup dans l’atonie des Français. Ainsi que les dissensions entre syndicats : l’année précédente, l’attitude de la CFDT, deuxième centrale syndicale française, sur la réforme des retraites comme dans l’affaire des « recalculés » de l’assurance-chômage ou le dossier des intermittents, a été considérée comme une trahison. Une journée d’action unitaire le 5 Juin manque de faire le plein, d’autant que le ministre, tissant sa toile, ne cesse de donner des gages à chacun, laissant espérer aux organisations syndicales et aux mutuelles une place dans la nouvelle « gouvernance » de l’Assurance-Maladie. Si la santé passionne beaucoup de monde(*) , la gestion des comptes sociaux est autrement problématique, et les annonces du Ministère sont assez floues pour laisser planer le doute.


Note de bas de page : Dans un sondage ouvert effectué par la Sofres en Mars 2004, le chômage et l’emploi étaient notés comme une préoccupation prioritaire pour 71% des Français, tandis que la qualité des soins médicaux recueillait 48%, et le financement de l’assurance-maladie 32%. ( Acrimed)


Au cours de l’été 2004, dans la torpeur du mois d’Août, la loi est votée, qu’il ne reste plus qu’à « mettre en musique », à décliner dans la « convention »  qui lie professionnels de santé et assurance-maladie.

Et si déjà certains tirent le signal d’alarme devant les mesures annoncées, d’autres espèrent encore influer jusqu’au dernier moment sur les décisions prises, et, partant, gagner un strapontin au sein des conseils d’administrations des Caisses de Sécurité Sociale, haut-lieu du pouvoir décisionnel jusque-là, tenu depuis des années par un syndicat après l’autre, au gré des alliances politiques, en dépit des règles démocratiques, les élections permettant de gérer le système ayant été stoppées après 1967 puis supprimées définitivement au moment du plan Juppé. D’un système géré démocratiquement à sa naissance en 1945 avec une représentation majoritaire des salariés, on est peu à peu passé à un système paritaire entre syndicats et patronat, puis à un système éminemment bureaucratique, payeur aveugle dénué d’autorité mais pas avare en matière de paperasserie administrative, incapable de poser la question de la pertinence des dépenses, et laissant le champ libre à l’Etat, au gré des alliances politiques de circonstance. Pendant de nombreuses années, la puissante Confédération des Syndicats Médicaux Français, CSMF, représentant plutôt, nous le verrons plus tard en détail, les intérêts des médecins spécialistes et des cliniques, a œuvré main dans la main avec Force Ouvrière. Puis, à l’arrivée de la gauche au pouvoir, retour de bâton, avec une alliance de fait entre la CFDT et MG France, le jeune syndicat de généralistes créé pour échapper à l’hégémonie de la CSMF. Mais en Août 2004, l’Etat siffle la fin de la récréation. Plus question d’alliances de circonstance qui ne soient pas directement pilotées sous contrôle du pouvoir politique : par décret, Jacques Chirac fait nommer en Conseil des Ministres à la tête de l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie, chapeautant l’ensemble des Caisses et leurs conseils d’administration, un Directeur choisi par ses soins en toute indépendance : Frédéric Van Roekeghem,  ancien directeur de l'audit du groupe d'assurances AXA de 2001 à 2003 et directeur de cabinet de Philippe Douste-Blazy. On ne saurait rêver mieux pour mener la réforme qui s’annonce en droite ligne avec les intérêts du  pouvoir politique, tandis que les conseils d’administration des caisses d’assurance-maladie, où siègent théoriquement des représentants des syndicats et du patronat, se retrouvent simples chambres d’enregistrement réduites à émettre des avis favorables ou défavorables dont personne n’a plus besoin de tenir compte.


Note de mars 2024: Douste-Blazy, peu s'en souviennent, a été ministre de la Santé, et ministre de la Culture. Comme quoi il n'est pas besoin d'être compétent pour être nommé. Ceux qui ont découvert l'oncle louche à mèche en mars 2020 et l'ont intronisé "courageux lanceur d'alerte contre l'industrie pharmaceutique", comme le guignol Michel Onfray, ont vanté ce proche de Didier Raoult, membre de son "conseil scientifique", inventeur de l'essai clinique par pétition. Rappelons que Didier Raoult soutenait dans Le Point en 2016 la candidature de Douste-Blazy à la tête de l'OMS. Celui-la même que les laboratoires Servier ont arrosé tout au long de sa carrière, entraînant l'ouverture d'une information judiciaire: https://www.christian-lehmann.org/post/douste-blazy-une-sommit%C3%A9-au-pass%C3%A9-sans-tache-s-opposant-au-lobby-des-laboratoires

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