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Chapitre 11

Dossier Médical Partagé: des promesses irréalistes et un fantasme de fliquage

Dans ce cortège de mesures contraignantes, de déremboursements masqués, et de reculs dans l’accès aux soins, un élément positif était sans cesse mis en avant par le ministre de la Santé, la CNAM, et les syndicats signataires : le DMP ou Dossier Médical Partagé. Chaque assuré social bénéficierait ainsi dès 2007, si l’on en croyait les effets d’annonce, d’un dossier médical informatisé complet permettant une meilleure coordination entre professionnels de santé, et auquel il aurait accès. 

Les patients qui ont attendu pendant des semaines que leur médecin généraliste reçoive un compte-rendu d’hospitalisation, ceux encore qui, des années après avoir réalisé une fibroscopie digestive, ne retrouvaient plus les conclusions d’une biopsie que leur demandait leur nouveau médecin après un déménagement, tous ceux-là pouvaient aisément considérer le DMP comme une avancée, même si cela restait pour l’instant virtuel. 

L’idée était simple, modeste et géniale : chaque assuré bénéficierait, tout au long de sa  vie, d’un dossier informatisé personnalisé, hébergé sur Internet sécurisé, que les professionnels en charge de sa santé seraient amenés à consulter et à faire évoluer au fil des ans. Sur le papier, l’idée était séduisante. En pratique, beaucoup moins. Car aucun des nombreux problèmes que posait le déploiement d’un tel outil n’avait été réglé : ni la question de l’hébergeur des données ( privé ou public ?), ni la question de la sécurisation des données personnelles confidentielles de santé ( dans un monde où de petits malins de 17 ans se baladent la nuit dans les fichiers de la CIA ou du Pentagone), ni enfin la question du coût d’un tel projet, qui nécessitait non seulement une infrastructure technique performante, mais aussi la mise en place d’une procédure de vérification des données entrées dans le dossier, et la rémunération liée à ce travail. Dès qu’il s’agissait d’investissement, le ministre se faisait plus discret, surtout lorsque les connaisseurs du dossier pointaient l’exemple anglais : «  Les français veulent faire en deux ans avec des queues de cerises ce que les anglo-Saxons envisagent sur dix ans pour près de 9 milliards d’euros ». 

Toujours très à l’aise avec les chiffres, Philippe Douste-Blazy annonce en 2004 que le DMP sera généralisé dès 2007 à l’ensemble des Français, et permettra dès cette année-là d’économiser 3.5 milliards d’euros par an. Trois ans plus tard, ces deux affirmations seront, comme d’habitude, démenties par les faits. L’expérimentation DMP se poursuit en région, pour des sommes pharamineuses, et met en lumière des failles de sécurité importantes. Les médecins s’arrachent les cheveux devant la complexité d’un système vanté par les technocrates, mais sans réel atout, dans l’immédiat, pour leur pratique quotidienne. Et les coûts s’envolent, tandis que les différents responsables du secteur, en sens inverse, promettent un coût annuel du DMP de moins en moins cher ( bientôt le DMP à 1 euro par an) , passant sous silence le temps-médecin nécessaire à faire fonctionner cette énième usine à gaz, que Christian Saout, Président d’Aides et de la Conférence Nationale de Santé, surnomme « Douste M’a Planté ». 

Dix ans après la mise en œuvre de l’informatisation du corps médical, il n’existe toujours pas, à l’échelon national, de système de messagerie permettant aux médecins d’échanger des courriers, des données, des compte-rendus d’examens ou d’hospitalisation, de manière sécurisée. Mais les consortiums privés s’arrachent la possibilité d’investir ce marché qu’ils espèrent juteux, comme les firmes pharmaceutiques, depuis 1996, ont profité de la lourdeur du système Sesame-Vitale pour racheter la quasi-totalité des éditeurs de logiciels médicaux.

Peu à peu apparaîtront, au fil du temps et des interviews, l’une des véritables raisons d’être du DMP, insensiblement transformé, par étapes, d’un outil vanté de coordination des soins, à un simple outil de contrôle administratif des remboursements… 

Et La CSMF réagira très violemment quand le Collectif Interassociatif sur la Santé obtiendra de haute lutte la possibilité pour le patient de masquer certaines données de santé, sans que ce masquage soit apparent. « Cette conception, vivement discutée par le corps médical, a fini par s’imposer. » note le CISS dans un communiqué de Juillet 2006 : «  Ce n’est pourtant que la traduction de droits fondamentaux protégés par les lois de la République. Il n’y a maintenant plus de doute : les patients pourront masquer leurs données, sans que ce masquage soit apparent et que le professionnel de santé puisse donc en avoir connaissance à priori. »

Le Président de la CSMF n’est pas de cet avis : « Du concept de Dossier Médical Partagé, on est passé sans transition à celui de Dossier Médical Personnel ! Loin d’être une simple variation sémantique, cette mutation est révélatrice d’un changement. Le dossier médical appartient aux patients et les médecins n’en sont que dépositaires. « Poussant le bouchon » encore plus loin, les représentants des  patients ont même réussi à imposer le principe d’un masquage possible des données, pire celui du « masquage du masquage » ! Autrement dit, le masquage par le patient lui-même, à l’insu du médecin, de toute information. Outre le fait que cette disposition est dangereuse car susceptible d’induire en erreur la chaîne médicale contre l’intérêt des malades, elle risque de mettre à mal la relation entre le médecin et son patient. Comment concevoir que ce dernier puisse modifier a posteriori son DMP sans en parler avec celui qui, d’un commun accord, a inscrit les informations utiles ? »

Un responsable syndical généraliste commentera ainsi les raisons de cette colère : « La CSMF est cohérente dans son approche du DMP. Exhaustif, compilant toutes les données du patient même les plus intimes, celles qu’il devrait pouvoir choisir de révéler ou pas selon ses interlocuteurs médicaux et la confiance qu’il leur accorde, le DMP mettrait au rencard la relation tissée entre le patient et le médecin généraliste avec lequel, sur le long terme, celui-ci choisit d’établir une relation de confiance privilégiée, et qu’il charge d’être, si besoin, son interprète et son guide dans le rapport aux autres professionnels de santé, en définissant avec lui ce qui doit être transmis dans un courrier. Il suffit de rappeler dans les textes que le masquage de données par le patient engage sa responsabilité et limite celle du professionnel de santé. La santé fait partie de l’intime. La vision de la CSMF rejoint totalement l'approche fantasmatique des technocrates  du tout contrôle , tout savoir , tout technique, tout rationnel justement dans un domaine ou l'irrationalité de l'humain les désespère et s’oppose à ce fantasme de toute-puissance orwellienne ».

En Décembre 2006, l’association Aides démissionnera du comité de pilotage du DMP en dénonçant l’absence de prise en compte des besoins des patients, et l’absence d’une « authentique autorité de régulation des systèmes d'information de santé dotée de pouvoirs propres (arbitrage, réglementation et sanctions) pour faire respecter une balance toujours subtile entre les exigences de santé publique et la protection des libertés individuelles ».

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